LE BI-CENTENAIRE DE L'ALBERTINUM EN 1963

En 1963, la vieille maison qui abrite depuis 1890 le groupe des professeurs dominicains et une partie des étudiants en théologie de l’Université a célébré le bi-centenaire de sa fondation et le centenaire de la transformation qui lui donna son visage actuel.

Fondation d’une Académie de droit

C’est le 10 mars 1763, en effet, que le gouvernement de Fribourg décida la destination des étages de la halle au vin dont on avait posé la première pierre quelques mois auparavant. On résolut d’en faire une Académie de droit. Heureuse époque ! On avait donc fait les plans et commencé de bâtir un édifice dont on ne connaissait encore la destination que du rez-de-chaussée et, néanmoins, on l’avait voulu grand et beau, pour que sa façade décorât dignement les places au sortir de la rue de Lausanne et de la tour du Jacquemart !

Un très beau bâtiment

Il était en effet très beau, dans sa facture originelle. Deux étages seulement. Un corps central à trois fenêtres, légèrement en saillie sur deux ailes de quatre fenêtres. Le côté gauche du rez-de-chaussée était sur arcades descendant jusqu’au sol. Le corps central, au premier, s’ouvrait par des portes-fenêtres sur un balcon de pierre, qu’entourait une grille en fer forgé timbrée aux armes de Fribourg. Un fronton triangulaire le couronnait, orné des emblèmes de la ville. Quatre fenêtres perçaient le toit Mansart. Avec ses assises à refends, ses grosses clefs au-dessus des arcades et des fenêtres du corps central, ses quatre chaînes – deux aux angles, deux aux côtés du motif central –, les corniches qui soulignaient les deux étages, le fronton, c’était un édifice vraiment racé, équilibré. Ayant à sa gauche les Ursulines et la porte du Jacquemart, à sa droite la rue et le bâtiment de l’Hôpital, puis la 
maison de Reynold, il faisait face à une large place que couvraient en partie des bouquets de tilleuls et qu’ornait la fontaine Saint-Pierre.

De l’Académie de droit à la caserne

Que ne fit-on pas dans ces murs durant le premier siècle ! On y enseigna le droit, on y roula et vendit des tonneaux, on y compta les sous de la dette helvétique pour la République française, on y hospitalisa des militaires atteints de maladies vénériennes, et surtout on y logea des soldats. Il s’en fallut de peu qu’on y mît le grain de la ville, ou qu’on y établît les bureaux 
de la poste. De 1840 à 1863, on y fit la classe aux « jeunes personnes » de Fribourg, c’est-à-dire aux filles. Il n’y avait plus rien à craindre d’ailleurs: au rez-de-chaussée les barriques de la halle au vin avaient cédé la place aux pompes à incendie de la ville.

La caserne devient Grand Hôtel

Au début de 1863, le bâtiment fut vendu à Jean Monney, ancien maître d’hôtel aux Merciers. Sur-le-champ, il le transforma en Hôtel de Fribourg : « 58 chambres, écuries pour 18 chevaux, au rez-de-chaussée, un café-billard, une pinte et une chambre à manger de deuxième classe » ; c’est alors qu’on éleva un troisième étage, remonta le fronton, aplatit le toit, transporta l’escalier et, remplaçant le balcon de pierre par une terrasse portée par quatre colonnes, fit disparaître  la balustrade en fer forgé. L’aile droite fut prolongée le long de la rue du Collège pour abriter les communs.

Le Grand Hôtel devient Convict

En entrant dans la vieille Académie qu’ils venaient d’acheter en 1890, les Pères Dominicains ne changèrent rien à la maison. Ils respectèrent jusqu’au mobilier, qu’ils avaient également acquis, se bornant parfois à le changer de chambre. Le salon de correspondance devint une chapelle fort appréciée du voisinage, jusqu’en 1954, date où elle devint bibliothèque. Un nombreux personnel envahit aussitôt la maison. A la demande 
de l’État, les Pères Dominicains mettaient leur bâtiment au service du convict des théologiens, dont en retour ils devenaient eux-mêmes pensionnaires. Mgr Egger, évêque de Saint-Gall, qui considérait le Convict comme son séminaire diocésain, fournit le directeur. De la 
cave au grenier les étudiants remplirent les chambres que n’occupaient pas les Pères professeurs. Ainsi naquit l’Albertinum.

Agrandissement du Convict

Quoiqu’il ne fut peuplé que de célibataires, la démographie du Convict s’accrut bientôt d’une telle façon qu’il fallut songer à bâtir. Au nord-ouest de l’Albertinum, sur l’emplacement d’un pavillon délabré appelé Bellevue et d’une halle de gymnastique qu’on nommait Strambino – du nom d’un évêque qui possédait là son logis au 17ème siècle – les Dominicains édifièrent le nouveau Convict à partir de 1905. Dès la fin de l’année les étudiants pouvaient occuper le premier étage ; la nouvelle chapelle n’avait pas encore sa toiture ! L’ensemble des bâtiments de l’Albertinum était désormais achevé.

Succession d’occupants

Mais si les pierres n’ont plus bougé depuis lors, les mouvements de 
population n’ont pas cessé pour autant, puisqu’on vit se succéder dans le Convict au cours de la seconde guerre mondiale, après les théologiens, des samaritaines et jusqu’à des internés polonais. Ainsi, quand ils s’assoupissent quelque peu au cours de leur travail, les hôtes de l’Albertinum peuvent-ils, en accrochant leurs rêveries aux vieilles pierres, aux meubles démodés, voir défiler l’étrange procession 
des anciens locataires: les internés, les secouristes, les voyageurs aux alpenstock – telle affiche de l’Hôtel de Fribourg leur en met dans les 
mains – les petites élèves, les militaires, les tonneliers et, tout au bout des temps, le laïc et les cinq professeurs jésuites qui, au 18ème siècle, inaugurèrent la destinée universitaire de ce pieux et docte édifice.