LA FONDATION DE L’UNIVERSITÉ
DE FRIBOURG À L’ALBERTINUM

Le 24 octobre 1889, dans le salon de lecture de l’Hôtel de Fribourg, une invitation du Haut Conseil d’État rassemblait l’université. C’était la première fois que les professeurs, arrivés l’un après l’autre dans les semaines précédentes, se trouvaient réunis. On peut à bon droit considérer cette date comme celle de la formation du corps de l’université.

Une première Académie de droit

En 1762, le Petit Conseil, c’est à dire ces Messieurs de Fribourg, décidaient de rebâtir la halle au vin à l’emplacement qu’elle occupait depuis au moins deux siècles à la sortie de la porte du Jaquemart, à droite, telle qu’on la voit sur le plan de Martini de 1606 Le bâtiment devant faire face à l’une des plus belles places de la ville, celle qu’on appelait « Les Places » et il était entendu qu’il devait être « décoratif ». Mais on ignorait encore ce qu’on logerait à l’étage. L’Académie de droit, cependant, s’étant fondée en 1763, on décida de l’y installer à l’issue de la construction. Cela se réalisa en 1767. Le bâtiment avait coûté près de 30.000 francs. A cette date, le professeur était un P. Jésuite du collège voisin de Saint-Michel. La suppression de la Compagnie de Jésus en 1774 n’empêcha pas la poursuite de cet enseignement supérieur. A la fin du 19ème siècle le bâtiment continuait de porter le nom d’ « Académie », par une sorte de prémonition. Mais il avait connu bien d’autres affectations. 

L’Académie devient caserne

En mars 1798, le général Brune ayant conquis Fribourg – on voit encore le trou que fit un boulet français, daté du 2 mars, à droite du portail de l’église du collège Saint-Michel – l’Académie commença pour quarante années sa carrière militaire : tantôt caserne, tantôt infirmerie générale ou hospice pour les vénériens, tantôt école pour les recrues. Mais en 1840 la ville ayant échangé avec l’État l’ancienne douane contre l’Académie, celle-ci devint l’école des filles. On avait, au rez-de-chaussée, substitué à la halle au vin les pompes à incendie.

La caserne devient l’Hôtel de Fribourg

En 1863, le Fribourgeois Jean Monney, ancien Maître d’hôtel aux Merciers, racheta l’Académie pour 100.000 fr. Il se proposait de faire au rez-de-chaussée « un café-billard, une pinte et une chambre à manger de deuxième 
classe ». Un « Café du 
Commerce » l’y avait précédé. On construisit un troisième étage, que couronnait le fronton remonté, une aile à l’orient, un escalier solennel, enfin une écurie pour 18 chevaux. Cela devint l’Hôtel de Fribourg, longtemps célébre dans la ville par son accueil, 
sa belle vue et ses banquets de mariage.

Faillite de l’Hôtel de rachat par Georges Python

En 1877, Jean Monney dût vendre à des Vaudois, tout en restant directeur de l’Hôtel. C’est alors qu’on renouvela le mobilier, mura les portes du café et le transforma en salon de lecture avec sa haute cheminée, ses boiseries et sa table de correspondance, tel qu’il était le 24 octobre 1889 pour la réception du corps de l’Université. C’est qu’en 1887, un Consortium formé de Georges Python, Charles Wuilleret et quatre de leurs amis, avait racheté pour 320.000 francs le « Grand Hôtel de Fribourg et de Zähringen » avec tout son mobilier. En 1889, ils avaient de même acquis au moins deux autres hôtels en difficulté financière: l’Hôtel des Charpentiers, devenu l’Hôtel Suisse, et l’Hôtel national, ancien Hôtel des Merciers. Pourquoi ces achats dangereux pour une équipe politique qui n’était guère préparée au sauvetage d’établissements en péril ? Le P. Berthier explique en ses souvenirs que Georges Python et ses amis y avaient été poussés en 1887 par Mgr Mermillod « pour que les Bernois ne puissent s’y installer », au lieu des masses d’étudiants attendus. Ni les Bernois, ni les masses d’étudiants n’étant venus, on parlait de fermer l’Hôtel de Fribourg, avec toutes les conséquence qu’on imagine.

Intervention des Dominicains

C’est ici qu’interviennent les Dominicains en quelque sorte en creux. Certes, le 24 octobre 1889 il n’était pas encore question d’eux. Le contrat de l’État avec l’Ordre ne sera conclu que deux mois plus tard par les bons soins de Caspar Decurtins. On remarquera cependant que les journaux, en faisant part de ce contrat, signaleront que l’Ordre se chargerait sans doute de fonder le Convict sans lequel il ne pouvait y avoir de faculté de théologie. A cette date, ni le P. Berthier, qui ignorait encore qu’on l’enverrait cinq mois plus tard fonder la faculté, ni aucun de ses confrères nepouvait imaginer une telle entreprise, dont le contrat ne soufflait mot. Seuls Decurtins et Python pouvaient caresser de loin le projet d’un Convict financé par les religieux. Il faut les comprendre. Les traitements promis aux professeurs de Lettres et à ceux des professeurs de Droit que ne finançaient pas les fonds propres de cette faculté, suffisaient à épuiser les revenus du fonds constitué par Python. La ville certes allait donner un fonds
pour les traitements de la Théologie. Mais qui financerait l’achat et l’installation d’un vaste Convict? Certainement pas l’évêché de Saint-Gall, bien qu’il dût trouver son séminaire en ce convict ; la pauvreté des évêques suisses était extrême à l’époque.

Les Dominicains achètent l’ancien Grand Hôtel

Le noeud gordien se dénoua, de fait, le 28 novembre suivant, lorsque le P. Berthier et deux de ses confrères achetèrent pour 400.000 francs le Grand hôtel de Fribourg avec son mobilier, pour y loger à la fois les étudiants en théologie et leurs professeurs dominicains sous la direction d’un prêtre de Saint Gall.

À l’origine de la réunion du 24 octobre 1889

Au printemps de 1889 Decurtins recrute, principalement en Alle-magne, les professeurs de la future faculté des Lettres, et quelques professeurs de Droit. Il leur déconseille, très prudemment, de se rendre à Fribourg déja durant l’été. Ils découvriront bien assez tôt, pense-t-il, que la nomination à vie à laquelle les universitaires allemands sont si attachés et qu’il leur a promise, n’est pas possible à Fribourg où tous les fonctionnaires sont nommés à cinq ans. Et puis, vraiment rien n’est encore prêt à les recevoir, pas même l’argent de leur traitement ! Le Grand Conseil n’a pas encore décidé officiellement la fondation : cela ne se fera qu’en octobre. Il n’y a pas de statut politique de l’Université ; la loi qui précisera ses rapports avec l’État n’interviendra qu’en août 1890. On ne sait même pas où les 
cours se donneront ; Python à l’époque pense à l’Hôtel de Fribourg ; mais il y faudra renoncer, car des clients l’occuperont encore. Tout se met à bouger vigoureusement en octobre.

La réunion du 24 octobre 1889

Le 4 octobre le Grand Conseil s’exprime sur le message du Directeur de l’Instruction Publique quant à la fondation de l’Université. Georges Python prononce alors un des grands discours de sa carrière. L’enthousiasme se déchaîne. La fondation est décidée à l’unanimité. Le soir, un puissant cortège se rend au Parlement. C’est au tour de Decurtins de haranguer la foule du haut du Rathaus avec son éloquence prophétique et sapuissante voix qui remplit d’éclats la place des Ormeaux et s’entend jusqu’à Saint-Nicolas. Le 5, octobre Décurtins communique à Python la liste des professeurs qu’il a recrutés chacun selon sa chaire. Le 8 octobre, Python communique cette liste au Conseil d’État. Le 12 octobre, Python nomme Jostes premier recteur de l’Université, Rabiet et Clerc, premiers doyens des Lettres et du Droit. Le 22 octobre, Python se marie, avec la fille de Charles Wuilleret, le président du Grand Conseil, et part pour deux semaines en voyage de noces. Mais l’élan est donné. En son absence, le 24 octobre 1889, le corps professoral de l’Université se constitue au banquet que lui offre l’État. A ce premier rassemblement participe, lui aussi, le bâtiment de l’Académie, qui sera pour les théologiens la maison de la faculté et le Convict Albertinum. On devine même déja, dans une sourdine à peine perceptible mais réelle, la présence de religieux, qui seront les Dominicains. C’est ainsi vraiment la première manifestation de l’Université de Fribourg.